Depuis le début de la civilisation, la connaissance scientifique et philosophique est le résultat d’un cheminement.

Celui-ci peut se résumer par :


Aller des certitudes vers le doute car au final, c’est lorsque l’on doute que l’on devient créatif.


D’une certaine manière, le point de départ de l'acquisition de connaissances scientifiques consiste à résumer le plus simplement possible les choses. Par exemple : La terre est plate.  Nous sommes au centre de l’univers. Le monde est séparé en deux (chrétiens/musulmans, jeunes/vieux, campagnards/citadins ; français/roms,  etc.) ; …


D'une autre manière, le moteur de l'acquisition scientifique consiste à s’autoriser à remettre en causes nos croyances afin d’entrevoir l’ensemble de la réalité. Par exemple : La terre n’est pas au centre de l’univers, nous ne sommes peut être pas seuls dans l’univers.  Le monde est beaucoup plus complexe que ce que nous sommes capable de voir, ... nous portons tous une potentielle violence en nous, …


Il en est ainsi de la violence conjugale.


Ne pouvant la comprendre, pendant des siècles, nous l’avons niée ou banalisée (vision simple du monde). Puis, les avancées sociales et les guerres ont permis à des féministes courageuses de changer le monde : les femmes sont devenues des personnes à part entières avec des droits.


De façon certaine, La violence conjugale est alors une équation simple à résoudre : sauvons et protégeons les femmes victimes d’hommes monstrueux. (Catégorisation du monde en deux polarités).


Puis, l’expérience des 10 dernières années a permis d’entrevoir que la violence conjugale est bien plus complexe que cela ! Il n’existe pas une violence conjugale mais une multitude de violences conjugales. D’ailleurs, pourrait-il en être autrement ?


Au début de ma carrière professionnelle, j’ai moi-même tenté de comprendre comment accompagner ces personnes avec comme unique définition femme-victime/homme-bourreau.


 
Je ne comprenais pas alors :


 
pourquoi une majorité de femmes retournaient retrouver leur « bourreau » ?
 
pourquoi la violence s’exerçait aussi dans les couples de même sexe ?
 
pourquoi des hommes étaient aussi victimes de violences conjugales ?
 
etc …

A cette époque, je ne pouvais pas concevoir un lien entre l’amour, ce merveilleux sentiment qui nous relie à l’autre et la violence, cette force brutale qui annihile l’autre.


Ainsi, lorsque je rencontrais des femmes, des hommes et des enfants, souvent ma définition de la violence conjugale ne fonctionnait pas. Au fur et à mesure de ces constats, j’ai commençais à entrevoir la complexité.


En effet, jusqu’à preuve du contraire, la violence conjugale a comme particularité de concerner … les couples ! (qu’ils soient conjugué au présent, au passé ou même au futur). En dehors des couples, la violence ne peut pas être conjugale …


Mais alors, c’est quoi la « violence conjugale » ?


Dans le concept de « violence conjugale », il y a la notion de « violence » mais aussi la notion de « conjugalité », donc de « couple ». Ne pas prendre en considération cette spécificité peut se révéler « contre productif » pour ces personnes.


Un couple c’est une entité à part entière ! Être en couple ce n’est pas être à deux, c’est plus que cela ! C’est en quelque sorte un groupe d’appartenance ! C’est pour cela que le couple devient si prégnant aujourd’hui. Il est un des derniers bastions social dans un monde de plus en plus individualiste.


" L’appartenance sociale est une aspiration essentielle de l’humain. Elle lui procure un effet de reconnaissance et constitue un élément de son identité. L’appartenance est le signe d’un lien humain et d’une place parmi les autres. " (Devillard, 2000, p.40)


La violence conjugale, c’est donc la présence de violence dans le couple (parfois dans les ex-couples…). Quelle est alors la réponse apportée par la société ?


La société n'a eu comme réponse jusqu'à ces dernières années que la séparation de ce même couple.


Ainsi la réponse à cette situation, c’est de mettre à distance les protagonistes concernés. La société, à travers la loi impose la séparation du couple (plainte, garde à vue, éloignement du conjoint, …).  La réponse sociétale (autre groupe d’appartenance!) est donc la mise à distance. Or, le couple est un lien particulier d’appartenance. Donc la réponse est de séparer une entité liée, soudée.


Peut on imaginer la violence qu’entraine cette séparation (même lorsqu’elle est décidée par le couple) ?


 
Imaginons un court instant que vous, moi, nous tous vivons une relation amoureuse forte mais qui par moment dysfonctionne un peu (comme dans tous les couples me direz vous !). Le lien entre nous deux est « puissant », l’idée de vivre seul, sans l’autre est extrêmement difficile.


Nous vivons alors, comme beaucoup, une vie de couple perturbée par la vie (les deuils, le stress du travail, les arrivées de nos chers enfants venant perturber notre fragile équilibre conjugal, nos familles, nos amis, …). Face aux difficultés de la vie, notre couple nous aide à ne pas sombrer. Cependant, notre relation dysfonctionne de plus en plus.


Nous sommes de plus en plus coincés dans ce paradoxe : l’un des endroits où nous nous sentons exister le plus nous fait souffrir de par son dysfonctionnement.


Lorsque ce dysfonctionnement n’est plus supportable, l’un de nous envoie un signal de détresse à l’autre, aux autres. Les « autres » (familles, amis, voisins, professionnels,…) nous engagent alors plus ou moins fortement à nous séparer.

Ce conseil ne génère t il pas de l’angoisse ? A-t-on écouté ce que nous voulions ?

Et lorsque l’on sera séparé, serons nous réellement plus heureux ?
Comment vivre sans mon groupe d’appartenance dans lequel se nourri mon identité sociale ?

Comment me positionner contre ceux qui m’aident, m’écoutent, m’aiment et pour celui ou celle que j’aime mais avec qui la vie peut devenir par moment impossible ?

Si je décide de faire ce que j’ai réellement envie, après mon couple, ne risque-je-pas de perdre ma famille, mes amis, … ?  Etc.… Que de tortures psychologiques !!!! Que de violences rajoutées à la souffrance du dysfonctionnement de mon couple.

Et maintenant, remplaçons le mot dysfonctionnement par le mot violence. N’est ce pas souvent la même chose ?


J’ai alors commencé à rencontrer des couples. Et là, j’ai pu comprendre à quel point nous les humains sommes complexes.


C’est quoi cet objet bizarre que l’on appelle couple ? Y a-t-il un couple-type? 
Comment peut-on aimer et être violent ?

En fait, un couple, c’est deux histoires qui se conjuguent. La violence conjugale, c’est  une conjugaison de deux vies qui fonctionne avec la violence.


Et, à ce sujet, je souhaiterai vous citer Gustav Parking qui nous dit : «  Vivre à deux, c’est essayer de résoudre des problèmes qu’on n’aurait pas tout seul ! ».


Donc la conjugalité, c’est plus que 1 + 1 !!! C’est ma femme, moi et notre couple … en cela, c’est déjà une aventure risquée qui fait la fortune des avocats spécialisés dans le divorce. (On imagine sans peine l’angoisse quand en plus, on doit supporter la belle-famille ; qu’on décide de faire un enfant ; que nos ados nous poussent dans nos limites ; etc.).


J’ai alors rencontré toute sorte de couple :


Des couples mixtes, des couples de même sexe, des couples avec un grand écart d’âges, des couples de personnes âgées, des couples de jeunes, des couples vivant séparément, des couples recomposés où les anciens conjoints errent comme des fantômes, des couples avec des handicaps moteurs, mentaux, …


Il existe donc une constellation de couples sur cette planète. Et il existe une myriade de dysfonctionnements conjugaux.


 
A un des extrêmes de cette nébuleuse, existent  des couples où l’un est violent avec l’autre de manière despotique. L’emprise y est de mise.
 
Au cœur de cette nébuleuse existent des couples où, de temps en temps, les rôles s’inversent. L’emprise change rapidement de camp selon les sujets, le contexte, ...
 
A l’autre extrémité, se situent les couples où les disputes, de plus en plus fréquentes engendrent des violences de plus en plus fortes de l’un voir des deux.

Et voyez vous, pour faciliter mon propos, j’ai du à mon tour simplifier à l’extrême la réalité …


Actuellement, dans certaines situations, nous confondons le symptôme et les causes de la survenue de celui-ci.


Par exemple, si la séparation permet d’arrêter la violence, elle ne fait que « s’attaquer » au symptôme. La séparation permet l’arrêt de la violence (à tout coup, au moins dans l’immédiateté). Cependant, si l’on fait le constat d’un retour au domicile conjugale dans une majorité des cas, cela n’est il pas la preuve que la séparation n’est pas en soi suffisante ?


Que dirait on d’un médecin que ne guérirai pas la maladie mais atténuerai seulement les symptômes de cette maladie ?


Ex : j’ai un plombage dentaire qui est parti depuis quelques jours. J’ai mal, je décide alors d’aller consulter mon dentiste. Celui-ci, (pour illustrer mon propos !), me propose, lorsque je lui explique que j’ai mal aux dents et même que cela me donne des migraines, un anti migraineux comme traitement. Certes, la douleur diminue mais pensez vous réellement que je sois guéris ? N’a-t-il pas seulement pris en compte les symptômes (douleur) plutôt que les causes (problème dentaire) ?


Que me conseillez-vous ? De continuer les anti douleurs ou de changer de dentiste ? 


Il en est ainsi des maladies organiques, psychiques et relationnelle (si l’on croit qu’une maladie n’est que l’une ce ces trois catégories … mais ça c’est une autre histoire …).


Cependant, il est évident que l’arrêt de la violence ou l’atténuation des symptômes est une priorité. Seulement, cela n’est pas suffisant, ce n’est que la première étape d’un processus plus complexe de traitement des causes de l’apparition de la violence conjugale.


D’un certain point de vue, la violence conjugale, c’est la pire des solutions que le couple utilise pour continuer à exister !


Lorsque ma relation conjugale dysfonctionne, soit je quitte mon couple soit j’échafaude des solutions pour faire perdurer mon couple.


La violence est alors une façon (paradoxale à tout le moins !) de faire perdurer la relation conjugale. La violence est alors le mode relationnel activé lorsque le couple est dans une impasse relationnelle forte.


Comment permettre le passage du symptôme aux causes ?


C’est là où cela se complique un peu. D’emblé, lorsque nous accompagnons une personne, nous prenons le plus grand soin à écouter ce qu’elle a à dire et ce qu’elle veut !


C’est là un positionnement qui relève de l’éthique. Ce n’est pas à nous de décider. A elle de nous dire ce que nous pouvons faire avec elle pour améliorer sa situation.


Notre premier « travail » est donc un travail d’écoute.


Mme dit : « je ne veux plus jamais le voir »

Une autre personne dit : «  je veux partir très loin, très vite »

Une autre personne dit « je veux le quitter »

 
Etc. …

Que devons entendre ? Que devons nous alors faire ?


Les chercheurs et experts de la relation nous enseignent que la communication est l’échange d’information entre deux personnes.


L’information c’est l’action d'informer ou de s'informer.


Il s’agit donc d’une action, d’un échange. Autrement, dit il s’agit d’une coaction de deux personnes en vue de transfert en aller retour de données informatives.


La relation entre la personne et nous même est donc une construction unique (elle serait forcément différente avec moi plutôt qu’avec mon collègue). Cela signifie que ce que je comprends de ce que me dit la personne est lié à ce que je suis (soit, au final, à ma définition personnelle et unique de ce que doit être un couple !).


De plus, aujourd’hui, nous savons que la communication ne concerne pas que ce qui passe par le langage. Le non verbal a son mot à dire !


De façon schématique, la communication, c’est 80% en quelque sorte de non verbal et 20 % de verbal !


Le non verbal, c’est les attitudes, l’intonation de la voix, les actes, les silences, le rythme de la voix, etc …


Pour synthétiser, si l’on ne se fie qu’au discours verbal, nous n’avons accès qu’à 20 % de l’information. Et, en plus, ces 20% sont transformés par notre vision du monde !


Donc lorsque nous faisons notre travail d’écoute, qu’écoutons-nous vraiment ?


Si une personne dit : « je ne veux plus le voir » et qu’elle lui écrit des lettres, des sms, que nous dit-elle ?

Si une personne dit je veux partir loin et vite sans réellement tout faire pour cela, que nous dit-elle ?

Si une personne nous dit je veux le quitter mais continue à s’informer sur ce qu’il fait, que nous dit elle ?


N’oublions pas que les histoires d’amour nous transcendent tout autant qu’elles peuvent nous faire sombrer dans la folie ; sachant que la folie et un mode de relation permettant de supporter l’insupportable ! Ne soyons donc pas étonnés de l’incohérence, de l’ambivalence, des changements, de ces personnes. Leur souffrance est telle qu’elles survivent comme elles peuvent. Progressivement, j’ai compris que la violence avait une fonction pour le couple. Ou plutôt qu’elle était la plus mauvaise solution trouvée face au dysfonctionnement du couple.


Par exemple, la violence permet:

 
Que chacun reste à sa place,
 
Que la dispute s’arrête,
 
De s’écarter l’un de l’autre quand la fusion est trop grande et devient  atrocement étouffante.
 
Etc …

Chaque couple, lors des thérapies, en me racontant leur dysfonctionnement, me permet de voir à quoi sert la violence pour le maintien de leur conjugalité. Cette même violence qui, pour eux, avant de me rencontrer était leur solution, est devenue un poison presque mortel lorsqu’ils me rencontrent.

Ainsi, s’il est plus facile et même rassurant de voir la violence conjugale uniquement comme une victime sous l’emprise d’un bourreau, je me dois de vous dire que la réalité est beaucoup plus vaste et complexe.